•  L'OISEAU QUI NE SAVAIT PAS VOLER 

    L'OISEAU QUI NE SAVAIT PAS VOLER

    Rien n’est noir ou blanc. Ni lumière absolue, ni obscurité totale. Ainsi, il arrive que dans de sombres terres désolées, on puisse trouver une lueur d’espoir, miroitant comme une flamme, aveuglant quiconque la contemplerait. Un chrysanthème, d’or et de pureté. Et à travers lui, des idéaux naissants, une raison raccrochant les âmes perdues à la vie. Un emblème. Le chrysanthème est devenu le symbole de l’Abysse, un territoire aussi sombre qu’est lumineux le monde d’En-Haut. Ceci, voyez vous, l’Oiseau le sait. L’Oiseau sait tout. Il observe, retient, mémorise, du haut d’un perchoir, isolé du monde. L’Oiseau n’est pas un coucou bavard, ni une chouette curieuse. L’Oiseau est un homme. Faillible, comme tous les hommes. Mais l’Oiseau est différent. L’Oiseau est celui qui garde espoir. Celui qui guide à travers l’obscurité. L’éclaireur d’En-Haut. Car l’Oiseau vient du haut, tout en haut de cette tour cauchemardesque nommée Midgal. Lui seul sait à quoi ressemble l’autre monde. Lui seul est capable d’y mener les derniers courageux prêt à le suivre.

    Pauvre, pauvre Oiseau aux ailes brisées.

    Personne ne connait son nom véritable. Mais après tout, qui pourrait se vanter d’un prénom, dans ces lieux de folie et de cauchemars ? L’Oiseau était un beau parleur, il faisait miroiter milles merveilles dans les yeux de ses interlocuteurs. Il décrivait les merveilles d’En-Haut, leur technologie avancée, les mets plus délicieux les uns que les autres, la vie paradisiaque qu’on y menait. Les hommes d’En-Bas l’écoutèrent, aussi étrange que cela puisse paraitre. Car il était le messie, le guide, le prophète. Celui qui devait mener les déshériter à la paix, celui qui devait les sauver, tous. Il chantait l’espoir, faisait battre les cœurs à l’unisson. Il enseignait philosophie optimiste, il clamait leurs futures heures de gloire. Les gens le croyaient, les gens le suivaient. Car l’Oiseau chantait bien son espoir et ce qu’il leur montrait faisait s’emplir de lumière les yeux les plus sombres.

    Pauvre, pauvre ange qui du paradis fut chassé.

    Mais l’Oiseau est un homme. Faillible, comme tous les hommes. Entre deux récits d’espoir, il s’inventa un monde. Un monde fait d’eau et de lumière, d’éclat de lune et de chaleur, merveilleux et idyllique. Il s’inventa un monde, où tous les hommes vivaient pour le mieux, où la mort n’était que légende et les conflits inexistants. Un monde construit sur le respect de soi et des autres. Un monde faux. Puis le chrysanthème se fana. Les âmes s’emplirent de doutes, l’obscurité se fit plus puissante. Une dure période arriva, la famine suivant de près. L’essence même des discours de l’Oiseau s’estompa, l’espoir était mince, beaucoup succombèrent. Quelques uns encore suivaient, se voilant la face, voyant en l’Oiseau leur dernier sauveur. Et l’Oiseau gardait pourtant espoir. Il continuait d’avancer, tout en voyant son empire tomber petit à petit sous ses yeux voilés par l’incompréhension.

    Pauvre, pauvre être qui ne pouvait qu’espérer.

    L’Oiseau rêvait. De son monde imaginaire, de liberté. Il rêvait que tout cela n’était qu’un cauchemar, un horrible cauchemar qui ne rendrait le réveil que meilleur. Il continuait son chemin, seul, abandonné. Les autres hommes ne le suivaient plus. Ils avaient trouvé des failles dans ses discours, les nommant naïvetés. Ils traitaient désormais l’Oiseau de fou, lui qui avait été leur messie. L’Oiseau fou, qui avait perdu ses ailes et son esprit. Et pourtant, il gardait espoir, vil et maléfique espoir. Il marchait, toujours plus loin. Il atteignit des terres que personne n’avait vu avant lui, des lieux qu’on disait perdus, redécouvrait le monde et ce que les humains en avait fait. Les paysages désolés par le passage de chars de combat, la brume noire et épaisse qui s’infiltrait partout, les squelettes et cadavres anciens de leurs prédécesseurs. Un monde mort, sans lumière, sans espoir.

    Pauvre, pauvre humain faible et impuissant.

    L’Oiseau s’écroula, les larmes roulant sur ses joues sales. Il avait marché, longtemps marché, et partout où il alla, tout n’était que désolation. Il n’y avait plus d’espoir. L’espoir était mort avec ce monde. Un monde pourri par l’égoïsme humain. Un monde obscur, sans possible retour en arrière. Un enfer passif, avec une terre emplie de sang. Alors l’Oiseau décida d’oublier. Oublier tout. Puis de s’enfermer dans son monde idyllique, si beau, si merveilleux. L’Oiseau ne souffrit plus jamais.

    Car l’Oiseau était mort avec son espoir dévastateur.

    On raconte que les derniers partisans de son optimisme placèrent sa tombe au pied de Midgal, là où il était tombé lorsqu’il était arrivé dans l’Abysse. On ne le pleura pas. On ne pleure pas les fous. Aucun nom ne fut écrit sur sa tombe. Car personne ne savait écrire, et qu’aucun prénom ne lui avait été donné. Il fut condamné à l’oubli éternel, comme tous ceux qui étaient mort avant lui. Rares sont ceux qui se souviennent aujourd’hui de son nom, mais beaucoup d’hommes se souviennent encore de l’espoir qu’il avait apporté avec lui. Un espoir terrible et merveilleux tout à la fois. Un espoir éphémère.

    Aussi éphémère qu’un chrysanthème.

    Aussi éphémère qu’un oiseau à qui on a arraché les ailes.

     



    CREDITS ;

    texte © Wintry Bird

    Image © 氷一@ついった

    (galerie → http://www.pixiv.net/member.php?id=2787621 )


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